Étire ta langue

Poésies et pensées vagabondes


Tranches de livre – extrait 24

Épaté, je tournai les yeux vers mon compagnon jardinier, il était immobile, fixant ma pierre ou le trou, peut-être les deux en même temps. Pendant trente secondes je ne fis que cela, faire voyager mon regard de ma pierre aux yeux de Manter.

Tu peux recommencer ce tir ? me demanda-t-il.

Quoi ? Vous voulez que je réessaye de lancer la pierre dans le trou en la faisant ricocher ? C’est impossible ! Lui criai-je en m’esclaffant.

Tu as certainement raison, il n’y a peut-être qu’une chance sur un million que tu y parviennes à nouveau. Et pourtant, sans pensée ni but, tu as réussi à faire quelque chose de tout à fait impossible. C’est de cette liberté là dont je voulais parler. Qui n’est pas liberté de penser, mais liberté d’agir sans encombrement. Dans l’instant où nous parlions de la « liberté », quelque chose de « toi » s’offrit cette liberté si précieuse. Sans que rien ne l’annonce. Nous sommes restés suspendus des poignées de secondes au-dessus du vide. Car la vraie liberté crée du vide en aspirant tout le superflu. Sais-tu combien de fois par jour cette occasion d’accomplir des actes de haute portée par leur qualité incommensurable nous est offerte ?

Non je n’en sais rien, mais quel intérêt représente un acte que la volonté ne peut concevoir ?

Voilà bien une question qui ne peut séduire que l’ego…Tu viens d’ajouter au monde un geste que tu es incapable de reproduire, incapable de comprendre et personne d’ailleurs ne le pourrait. Tu ne te demandes pas comment cela fut possible ?Je le regardais silencieusement avec une expression d’incompréhension sur le visage, je sentais bien dans les muscles des yeux et du front, des joues et de la bouche les légères tensions qui modèlent les masques qui nous racontent à l’autre en-deçà des mots. J’étais très conscient dans cette minute de la façon dont mon esprit commandait aux nerfs et aux tendons. Je l’entendais donner ses ordres au travers des réseaux sanguins et électriques qui allaient de mon cerveau à mon visage. J’écoutais le dialogue souterrain qui disait : « tiens ! Tends-moi ce tendon pour faire un peu pitié ! Crispe ce muscle sur les tempes pour montrer ta bonne foi ! ».



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