Étire ta langue

Poésies et pensées vagabondes


Dans le palais de mon père

― Père, parlez-moi de la politique, voulez-vous ?

― Tu vois cette assemblée de gens qui semblent discuter en braillant et qui sont à la lisière de la mêlée de corps choqués et blessés ?

Un désaccord s’est manifesté entre deux chefs de famille (ça aurait pu tout aussi bien être entre un chef et une cheffe ou entre deux cheffes) habitant des huttes de pailles éloignées de vingt pas l’une de l’autre.

Ils ont commencé par se crier dessus en raison d’un problème d’eau, la compagne de l’un aurait puisé dans le puits commun plus que le quota fixé pour des raisons d’économie de l’eau.

Et puis à chaque grand coup de gueule arrivait, qui la compagne, qui le cousin, qui le père de la compagne, qui son fils, etc etc…

Au bout d’une petite demi heure, tout le village était sur la place, il y avait deux factions, une pour les membres de la hutte de l’est, une autre pour ceux de la hutte de l’ouest, et puis il y avait un petit groupe resté à l’écart, ou parce qu’ils se foutaient du problème ou parce qu’ils avaient vu venir la décomposition du semblant d’harmonie qui régnait jusque là dans le village.

Il faut te dire que tous ces gens étaient plus ou moins tous de la même famille, une certaine petite dose admise de consanguinité circulait dans leurs veines.

La dispute, qui se contentait jusque là, d’insultes en tout genre et de menaces sanguinolentes allait tourner au pugilat, que dis-je, au massacre général, lorsque arriva un vieil homme dont tout le monde avait presque oublié l’existence, il avançait en tapant sur une peau de chèvre tendue sur un arceau et en criant des : »hop !hop !hop! », ce qui eut un effet sidérant sur la masse de membres non identifiables, je veux dire qu’à ce stade là, malin aurait été celui qui pouvait revendiquer un pied ou une jambe comme son appartenance propre.

L’homme s’étant approché cessa de taper comme une brute sur son tambour et se mit à crier, non pas de colère, mais tout simplement parce qu’il voulait se faire entendre malgré le tumulte des bêtes humaines qui prenaient le crâne le plus proche comme un défouloir musical.

― Hop Hop! arrêter de vous disputer, j’ai la solution, on va parler ensemble et réfléchir au moyen de mesurer l’eau afin que ne s’écoule pas une goutte de plus dans vos vases que ce qui est prévu par les quotas, un système automatique qui coupera la vanne dès que le volume a été tiré, qu’en pensez-vous hein ?

Ils s’extirpèrent un à un de la pelote que leur corps avait formée et esquissèrent un sourire timide, au début, puis un rire plus débridé et jovial qui me rappela celui que j’ai souvent vu sur la mère quelques minutes après sa délivrance, lorsque les souvenirs de la douleur s’évanouissent peu à peu, faisant place à la joie bien méritée qu’apporte l’apparition de l’enfant.

Ils venaient de découvrir l’homme politique, un concept, une idée, une solution pour ne pas finir par s’entre-tuer, un rêve de paix, une illusion de bonheur et de bon sens, l’homme politique était né, le représentant de l’ordre à préserver, le médiateur, le chef d’orchestre souvent, le beau parleur aussi, et bien d’autres choses encore…



3 réponses à « Dans le palais de mon père »

  1. Ils nous font tellement défaut les médiateurs…
    Superbe…
    Merci à toi Juan 💙💙💙

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